Savoir-faire & Gestes de l'Atelier Jean Perzel

La Lumière comme obsession

Un article d’Elsa Cau sur les coulisses de l’atelier • Photos par Nicolas Melemis pour le magazine Geste/s

Née avec le courant Art déco et parfaite illustration de ses formes épurées, intemporelles et de son élégance précieuse, la maison Jean Perzel vient de fêter son centenaire. Dans l’atelier-showroom du XIVe arrondissement de Paris, dirigé par Olivier Raidt, petit-neveu du premier maître, le temps s’est arrêté. Mais pas les commandes, ni le savoir-faire d’excellence.


Resté inchangé depuis 1931, l’Atelier Jean Perzel est niché dans un immeuble Art déco réalisé cette année-là par l’architecte Michel Roux-Spitz à la demande du maître de maison. Verriers et bronziers y perpétuent un savoir-faire centenaire. Ils sont ici une dizaine à reproduire un corpus de gestes précis et sensibles.
Sensibles, car il faut “faire corps avec l’objet et avec la machine”, selon le mot de l’un d’entre eux et, contrairement, aux ateliers où chaque étape de fabrication est dévolue à un artisan, chacun est formé à exécuter avec précision plusieurs gestes, passant ainsi du travail du verre à celui du métal avec la même dextérité. Ce savoir-faire est transmis pendant plusieurs années aux jeunes compagnons par les plus anciens de l’atelier et, comme jadis, on passe ici toute sa carrière, “une vie entière”, nous indique-t-on.

En examinant différents luminaires, on est saisi par ce rayon à la fois doux et intense qui en émane. “Jean Perzel était le précurseur du luminaire moderne. Il a conçu le véritable confort d’éclairage, une lumière puissante, mais qui n’aveugle pas ni ne fatigue l’œil”, souligne son petit-neveu, Olivier Raidt. Comment un tel résultat est-il obtenu ? “L’intérieur de nos luminaires doit refléter la lumière. Toutes les pièces non visibles sont laquées en blanc afin de renvoyer la lumière de façon optimale”, révèle-t-il. Une étape qui intervient dès le début de la fabrication des luminaires, entièrement conçus sur place, dans l’atelier familial parisien.

Fabrication de Luminaires : un art méticuleux

Ici, tous les supports sont proposés : appliques, lampadaires, lampes, suspensions et lustres… Il faut compter une quarantaine d’heures au minimum pour une applique – la pièce aux formes les plus épurées nécessitant le moins de matière autre que le verre – et jusqu’à cent cinquante pour les réalisations les plus délicates. Paradoxalement, le temps de travail n’est pas proportionnel à la taille des pièces : ainsi, une lampe pourra nécessiter parfois bien plus d’heures de travail qu’un lampadaire.
Ce long temps de fabrication s’explique par la multitude de pièces métalliques minuscules à fabriquer, décolleter – à l’aide d’un couteau, est prélevé directement dans une barre de métal ce qui constituera la pièce de révolution finale, c’est-à-dire vis, écrous etc. –, braser (souder), polir, tarauder (percer) puis assembler sur le squelette, majorant ainsi considérablement le temps de travail des artisans.
Pour certaines pièces, comme un grand lustre avec peu de finitions en bronze ou en laiton, le temps de fabrication peut être divisé par trois, poursuit Raidt. C’est la complexité du luminaire qui fait le travail, pas son volume. Et, bien entendu, plus le temps passé sur une pièce est important, plus son prix est élevé. Nous sommes des artisans et nous travaillons à la main, à l’unité.

Gestes & Savoir-faire : de la matière à l’œuvre

Ainsi, tout commence par la matière première.
De larges feuilles et tubes de laiton et de bronze, du verre optique en différentes épaisseurs, qui est découpé et taillé manuellement au diamant. Le morceau de verre est ensuite mis en forme suivant deux techniques possibles : celle du verre coulé ou moulé pressé – le verre est coulé en fusion dans un moule métallique, puis pressé à l’intérieur afin d’épouser le relief du gabarit – ou bien au four à 900 degrés, dans lequel les plaques de verre prendront forme autour d’un moule.
Selon l’utilisation du verre, on notera des subtilités techniques : le verre coulé s’applique ainsi aux luminaires d’extérieur, tandis que certaines plaques de verre sont doublées dès l’origine d’émail blanc étiré à chaud définitivement solidaire du verre, quelles que soient les opérations qui l’affecteront. Puis, le verre formé est sablé. Entièrement protégé par une combinaison, l’artisan dépolit le verre brut et transparent, pour en obtenir un effet opaque par la projection de particules de sable à grande vitesse.
Dernière étape : le polissage. Il s’effectue à l’aide du lapidaire, une machine centenaire, la plus ancienne de l’atelier : un mélange d’eau et de sable de silice coule sur une grande meule en rotation. Elle termine de former le verre que l’artisan manie contre elle.

Photos : Le verre est poli à l’aide du lapidaire, une machine centenaire, la plus ancienne de l’atelier. Ici, rien ne se perd, toutes les chutes sont conservées et serviront à restaurer ou compléter des pièces anciennes et neuves. Protégé par une combinaison, l’artisan dépolit le verre brut et transparent, pour en obtenir un effet opaque grâce à la projection de particules de sable à grande vitesse. Le verre est découpé et taillé au diamant, c’est-à-dire à la main, muni d’un diamant coupe-verre. Le verre utilisé est un verre optique, comme dans la lunetterie, que la maison se procure en plaques de différentes épaisseurs avant de lui faire subir de nombreuses étapes de transformation.


Intervient ensuite le travail du métal. Les artisans fabriquent tous les éléments d’une pièce “y compris la petite visserie, exactement comme dans l’horlogerie”. Chaque pièce en métal, qu’elle soit décorative ou fonctionnelle, est découpée à la scie à ruban et travaillée de façon isolée par l’artisan avant d’être assemblée par brasage, puis d’être poncée et polie. Résultat : une précision infinie et une qualité réelle de l’objet final. Sans oublier une facilité de démontage, de dévissage et de remontage garantis ad vitam par ce traitement au cas par cas. Ce qui permet aux ateliers de restaurer régulièrement d’anciennes pièces, devenues objets de collection.

Chaque pièce en métal est travaillée de façon isolée par l’artisan avant d’être assemblée par brasage, puis d’être poncée et polie.

Mise en forme, repoussage – modelage à froid consistant à frapper des coups réguliers au marteau sur une matrice imprimant elle-même un relief à la pièce métallique qui est travaillée –, taraudage : le squelette métallique des pièces prend forme entre les mains des monteurs de bronze. D’autres éléments sont repoussés à chaud, manuellement sur une machine à bras pouvant accueillir différents mandrins – pièces situées à l’extrémité d’une machine rotative, permettant la fixation rapide d’un outil d’usinage – et contre-formes en bois : on maintient à la main la feuille métallique pour lui faire prendre la forme voulue.

Ces méthodes, inchangées depuis les débuts, participent à la délicatesse du sur-mesure de chaque luminaire fini, lequel reçoit en dernière étape, juste avant le polissage et le léger vernis protecteur, l’estampille en creux du cachet “JPerzel”. L’électrification de la pièce est opérée après son assemblage final, avec la pose des verres et un nouvel ajustement. Combien d’interventions sont nécessaires à la fabrication d’une pièce ? “Elles sont incalculables, indique Olivier Raidt. Il faut imaginer que l’on part d’une page blanche. Tout est à fabriquer, de la plus minuscule vis au verre façonné, en passant par le squelette en laiton et son décor.

Outre sa fabrication propre, chaque luminaire évolue continuellement. Ainsi, les modèles de suspensions Art déco sont parfois transformés en lustres pour s’inscrire dans un intérieur contemporain, certains gabarits évoluent selon les besoins de l’époque, les structures en laiton sont traitées grâce à des procédés contemporains à finition inaltérable.
Mais les modèles iconiques ne sont pas seuls au catalogue. Olivier Raidt, comme son père et son grand-oncle, dessine et crée de nouveaux modèles.

Nous avons près de 8 000 références et ne publions pas de catalogue tous les ans mais plutôt tous les dix ou vingt ans. Nous raisonnons en pièces uniques : quand un client a une problématique, nous créons la pièce dont il a besoin. Cela arrive entre trois et cinq fois par an et peut signifier de modifier un modèle existant comme d’en inventer un. Pour autant, cette nouvelle référence n’entrera pas forcément au catalogue.

Tout est ainsi centralisé ici, avec showroom et atelier, où sont fabriquées 600 pièces par an, pour une clientèle constituée à 60% de particuliers, et une exportation de 40%, principalement à destination des États-Unis.
Déjà, en leur temps, Jean Perzel puis son neveu François Raidt comptaient parmi leurs clients le roi des Belges, les Rothschild, le maharadjah d’Indore, la cathédrale du Luxembourg, Henry Ford, le Général de Gaulle, le roi du Siam ou encore Georges Pompidou.
Trois générations plus tard, l’excellence est maintenue dans cette maison distinguée par le label Entreprise du patrimoine vivant.


Retrouvez l’article complet dans le Magazine Geste/s du Printemps 2024 ou sur notre revue de presse.
Un grand merci à Elsa Cau et Nicolas Melemis pour ce reportage !